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jeudi 1 janvier 2015

"Saint Sébastien, le corps triomphant" de Robin

La figure de Saint Sébastien a été traitée à nombreuses reprises à travers l'histoire de l'art. On a pu en voir un très bel exemple par le peintre italien du XVIIe siècle Antonio de Bellis, exposé lors de l'exposition "Sade. Attaquer le soleil" au Musée d'Orsay à Paris. 

Antonio de BELLIS, Saint Sébastien évanoui, 1630-1640
(source : domaine public, via Wikimedia Commons)
On représente traditionnellement ce saint dans la posture où il trouva la mort : attaché à un poteau et le corps transpercé de flèches. À partir du milieu du XIXe siècle, Saint Sébastien devient une iconographie homosexuelle, que ce soit en peinture, ou dans la photographie, comme dans ce Saint Sébastien de Fred Holland Day.

Fred Holland DAY, Saint Sebastian, 1906
(source : domaine public, via Wikimedia Commons)
L'exposition dont nous allons parler a été organisée par la mairie du 10e arrondissement de Paris et se tient jusqu'au 10 janvier. Elle a l'avantage d'être gratuite. Elle est réalisée par le photographe Robin, connu pour photographier le monde de la musique pop. Voici ce que nous dit l'artiste de son travail dans le texte de présentation de l'exposition : "Saint Sébastien se trouve naturellement être l'un des personnages les plus emblématiques pour sensibiliser le regard au corps. [...] Sujet profane et sacré à la fois, saint Sébastien mêle la fragilité à la beauté du corps, capable de résister aux pires atteintes. Or les fléaux les plus divers continuent de hanter notre quotidien. Peste hier ou sida aujourd'hui [...]. " Qu'en est-il de cette exposition ? 

L'exposition "Saint Sébastien, le corps triomphant" de Robin à la Mairie du 10e arrondissement de Paris
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 3.0 FR)
Située dans le hall de la mairie du 10e arrondissement de Paris, l'exposition qui compte une trentaine de photographies est inégale en qualité. Tout d'abord, l'éclairage rendant les photographies brillantes (d'autant qu'une partie est recouverte d'une vitre) rend la visibilité parfois difficile. Comme le dit très justement le texte d'introduction, la figure de Saint Sébastien, par son histoire religieuse et son appropriation par la communauté gay est à la fois un sujet religieux et profane. Or ici, nous passons "d'à la fois" à "alternativement". Certaines photographies sont magnifiques, notamment les comparaisons avec des photographies de statues représentant le saint. 


 L'exposition "Saint Sébastien, le corps triomphant" de Robin à la Mairie du 10e arrondissement de Paris
(source : François Frémeau, licence CC BY-SA 3.0 FR)
D'autres fois, l'image va être extrêmement banale et homoérotisée à outrance. Même si le photographe fait le choix de ne pas systématiquement représenter le saint avec des plaies évoquant les flèches pour faire un parallèle avec le sida, maladie invisible, certaines photographies feraient certes de très belles couvertures de magasine, mais sont tout à fait à côté du sujet (mais pas à côté du titre de l'exposition, car alors c'est le corps qui triomphe, et non la figure de saint Sébastien). Là où il est le plus pertinent, c'est finalement quand Robin s'appuie sur l'iconographie qui l'a précédée et qu'il se la réappproprie avec la photographie. Le parallèle est intéressant. 

Je ne suis pas spécialiste de la photographie contemporaine, mais voici mon avis sur cet exposition. Si vous voulez vous faire le vôtre, rendez-vous à la mairie du 10e arrondissement avant le 10 janvier 2015. 

Saint Sébastien, le corps triomphant de ROBIN
Du 1er décembre 2014 au 10 janvier 2015
Mairie du 10e arrondissement de Paris
72 rue du Faubourg Saint-Martin
Entrée libre
Mon avis : 2/5

mardi 23 décembre 2014

"Gaby Baby Doll" de Sophie Letourneur

Je ne connaissais pas Sophie Letourneur, jeune réalisatrice dont je suis allé voir le troisième long métrage : Gaby Baby Doll. L'histoire de ce film très poétique est difficile à décrire : une jeune femme vient vivre à la campagne pour apprendre à vivre seule. C'est un film sur les rituels, les liens, la condition humaine. Bien des sujets qui auraient pu être traités de façon très dramatique par le cinéma français (fort heureusement, ici, peu de cigarettes et de barbes de trois jours) et où le personnage insupportable et électrique de Gaby, joué par Lolita Chammah, nous emmène s'en en avoir l'air. 

Lolita Chammah
(source : Siren-Com, licence CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)

Le film se passe dans un petit village de France où notre héroïne cherche chaque soir une personne pour l'accompagner dans le sommeil qu'elle ne peut trouver seul. Cette terre boueuse et sans fards n'est pas une campagne idéalisée par le cinéma parisien, elle n'est pas poétique, elle est simplement montrée telle qu'elle, brute. 

Film sur le rite, donc, auquel on peut associer cette phrase de Proust : "Les jours avaient succédé aux jours, ces habitudes étaient devenues machinales, mais comme ces rites dont l'Histoire essaye de retrouver la signification, j'aurais pu dire (et ne l'aurais pas voulu) à qui m'eût demandé ce que signifiait cette vie de retraite où je me séquestrais jusqu'à ne plus aller au théâtre, qu'elle avait pour origine l'anxiété d'un soir"[1].

(source : AlloCiné)
Dans des scènes à répétition, le spectateur est amené à observer les micros variations qui s'opèrent dans le personnage de Gaby et de son compagnon/psy/homme sauvage Nico, interprété par Benjamin Biolay. À travers le rituel de sa promenade, Nico parvient petit à petit à sortir Gaby de sa dépression. Seul (gros) défaut, comme beaucoup de films français, Gaby Baby Doll ne sait pas vraiment finir et termine avec un petit décalage par rapport à la poésie temporelle du film. On note également quelques petites erreurs de montage dans les costumes.



Gaby Baby Doll de Sophie LETOURNEUR
Durée : 88 minutes
Date de sortie en France : 17 décembre 2014
Mon avis : 3/5

***

[1] Marcel PROUST, La Prisonnière, Paris, Librairie Générale Française, 2008, p. 135

samedi 20 décembre 2014

"Le Hobbit : la bataille des cinq armées" de Peter Jackson

Lorsque je suis allé voir Le Hobbit : la bataille des cinq armées de Peter Jackson, je ne m'attendais pas à aller voir un chef d'oeuvre du cinéma. Mais considérant tout de même que le cinéma reste un art (le septième en l'occurence), même lorsqu'il est populaire, je m'attendais à ressentir des émotions. Le cinéma américain nous l'a prouvé récemment, que ce soit dans Gravity ou Interstellar : on peut faire un film dédié aux masses et faire un objet artistique de qualité. Or, en voyant ce film, j'ai immédiatement pensé à Hannah Arendt qui prédisait déjà il y a bientôt un demi-siècle : "Quand livres ou reproductions sont jetés sur le marché à bas prix et sont vendus en nombre considérable, cela n'atteint pas la nature des objets en question. Mais leur nature est atteinte quand ces objets eux-mêmes sont modifiés - réécrits, condensés, digérés, réduits à l'état de pacotille pour la reproduction ou la mise en image. Cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir."[1]

N'oublions pas que Le Hobbit est avant tout un très beau livre de J.R.R. Tolkien, universitaire britannique qui, en 1937, invente cet univers mêlant les folklores européens et son imagination pour donner naissance à ce roman qui sera suivi par la célèbre trilogie du Seigneur des Anneaux. L'histoire seule promettait donc une belle mise en images.

A line-up of the American second edition printings of The Hobbit
(source : Strebe, domaine public, via Wikimedia Commons)
Mais passons au film justement. Le problème de ce film a été pointé par Noémie Luciani dans sa critique dans Le Monde du 9 décembre 2014"Indubitablement, la matière s’épuise. Avec Le Seigneur des Anneaux, Peter Jackson avait adapté les trois gros tomes du livre en trois gros films (près de douze heures en tout si l’on cumule les versions longues), qui avaient néanmoins nécessité un certain nombre d’ellipses. Pour Le Hobbit, c’est un très petit livre, écrit par J.R.R. Tolkien en préambule au Seigneur des Anneaux, qu’il adapte à nouveau en trois gros films, de près de trois heures chacun."[2]

The Hobbit: The Battle of The Five Armies Teaser
(source : BagoGames, licence CC BY 2.0, via Flickr)
Tout est dit, ou presque. En effet, le film est trop long. Du point de vue du scénario, soyons clair, on ne comprend rien. Les plans rapides sur des personnages sans profondeur et sans enjeux émotionnels se succèdent. On est dans l'adrénaline et l'enchaînement de plans de batailles monumentales. Le film se résume à ça. Ce qui est le plus grave, ce sont les grands moments d'amateurisme pour un film ayant un tel budget. En voici un exemple : la ville est assiégée par les méchants (orcs, trolls, etc.) et les villageois courent, affolés. Quand soudain, en haut à gauche de l'image, ces mêmes villageois qui courraient se mettent à marcher calmement en arrivant au bout du décor, croyant être hors champ. Et l'image a été gardée au montage, faisant perdre au public tout sentiment d'immersion dans le film. 


Je ne pourrai pas vous dire comment le film se termine puisque (comme cela m'arrive rarement) je suis parti avant la fin pour ne pas continuer à perdre mon temps. 

Le Hobbit : la bataille des cinq armées de Peter JACKSON
Durée : 144 minutes
Date de sortie en France : 10 décembre 2014
Mon avis : 1/5

*****

[1] Hannah ARENDT, La crise de la culture, trad. Patrick Lévy, Paris, Éditions Gallimard, 1972, p. 266
[2] Noémie LUCIANI, "Le Hobbit, la Bataille des cinq armées : Peter Jackson joue les prolongations", in LeMonde.fr, 9 décembre 2014